Test – Forspoken: un jeu Frey mais pas lumineux pour autant

Annoncées comme révolutionnaires, les capacités du moteur 3D Luminous Engine trouvent enfin leur porte-étendard avec le titre Forspoken. Un accouchement chez SquareEnix qui s’est fait dans la douleur semble-t-il, en dépit de bonnes intentions bien visibles.

En 2012, SquareEnix annonçait alors un tout nouveau moteur 3D maison baptisé Luminous Engine. Une démo technologique Agni’s Philosophy montrait ainsi les apports graphiques et d’animation qu’auguraient ce moteur prometteur. Un accord fût conclu ensuite entre Sony et SquareEnix pour sortir en exclusivité le premier titre qui découlerait de cette technologie, sur la prochaine console Playstation 5. Son nom: Forspoken. Il n’en fallait pas plus pour créer la hype chez les fans autour de cette vitrine technologique qui mettrait en avant les folles capacités de la dernière console de Sony. Depuis, de l’eau sous les ponts a coulé. Au gré de reports multiples et de previews pour le moins inquiétante, Forspoken voit enfin le bout du tunnel mais rate le coche des fêtes de Noël. Signe annonciateur manifeste d’un premier rendez-vous raté…

Je rêvais d’un autre monde

Au premier abord, Forspoken se vit comme un film interactif. On a en effet l’impression de jouer à un jeu et de regarder un film en même temps. Le titre consiste à courir librement dans un vaste terrain de jeu à l’ambiance héroïque fantasy rempli de monstres, de défis et de paysages sauvages. Pendant ce temps, le film parle d’une jeune femme qui lutte pour survivre dans un pays inconnu plein d’étrangers. Bien que les deux parties de l’expérience apparaissent comme indéfectibles à l’écran, elles ne se croisent que rarement durant le jeu. Un comble quand on sait que la trame principale de Forspoken repose sur le lien étrange qui lie Frey Holland, son héroïne, et son bracelet parlant, Krav.

Jeune orpheline vivant dans un foyer, Frey mène la vie dure dans le bas quartiers de New York. Le joueur fait d’ailleurs sa connaissance en bien fâcheuse posture: la jeune adulte se retrouve assignée au tribunal pour tentative de vol de voiture. Bénéficiant d’un sursis d’incarcération en raison de l’esprit de Noël, elle se prépare à quitter la ville avec rien d’autre que les vêtements sur son dos, son chat Homer et un sac de sport rempli d’argent. C’est alors que les choses se compliquent. Par la magie d’un bracelet mystérieux, Frey se retrouve aspirée par portail tridimensionnel.

On pourrait penser qu’une personne vivant dans des conditions aussi misérables que Frey pourrait considérer comme une bénédiction le fait d’être transporté dans un vaste monde aussi fantastique qu’Athia. C’est d’ailleurs le ressenti premier de la jeune femme…avant de vite déchantée. Le monde d’Athia meurt lentement, consumé par un phénomène de brouillard maléfique qui transforme les gens et la faune en monstres. Les Tantas, les chefs d’Athia, sont la source apparente de ce brouillard, le provoquant avec leurs vastes pouvoirs magiques. Emprunts à une folie meurtrière, ils sèment la discorde et oppriment ce qu’il reste de la population. La dernière communauté libre se recroqueville dans la ville fortifiée de Cipal.

Marche et Krav

Le bracelet de Frey lui confère cependant un atout dans sa manche: la magie. À son arrivée à Athia, elle est en quelque sorte dotée d’une puissance magique et d’une immunité contre les effets corrupteurs de la pause. Bien que nouvellement habilité, le désir de Frey de rentrer chez elle le plus tôt possible se heurte aux besoins des habitants de Cipal. Elle proteste, ne voulant pas assumer le fardeau de devenir le sauveur d’Athia ou le martyr de Cipal. Mais elle réalise progressivement que rentrer chez elle aurait des conséquences graves, générant un nouveau conflit avec les dangers d’Athia et les Tantas corrompus.

En jouant à Forspoken, j’ai eu l’impression que ses développeurs étaient tiraillés entre deux directions : celle d’une histoire et celle de sa mécanique. En soi, l’histoire se vit comme un drame non inintéressant en dépit d’une trame de départ télescopé façon Magicien d’Oz. A noter tout de même l’excellente performance de l’actrice Ella Balinska pour son incarnation du rôle de Frey. Au gré de l’aventure, je me suis ainsi attaché à sa lutte et à son désir de finalement rejeter son statut de super héroïne pour celle d’apporteuse de paix sur Athia.

Pars. cours. Et Frey, toi, ton propre chemin.

Malheureusement, la force et la cohérence peu communes des principales caractéristiques de Forspoken sont minées par la structure du jeu. Avec ce qui reste de la civilisation d’Athia enfermé à Cipal, le monde en dehors de ses murs est presque complètement dépourvu de développement significatif du personnage. À toutes fins utiles, Athia est un monde grand et beau, mais il est également vide de sens. 

Les bribes de Lore abandonnées tout au long du jeu parlent du monde qu’était Athia et finissent par souligner à quel point ce monde est à peu près mort maintenant, grâce aux quatre boss qui gouvernent les coins de la carte. Ce qui reste d’Athia n’est rien de plus qu’un vaste parcours d’obstacles, ce qui fait qu’on se demande s’il y a quelque chose qui vaut la peine d’être sauvé. Puis, l’histoire ramènera Frey à Cipal avec pour seul motif de l’envoyer à nouveau en randonnée afin de tuer l’un des quatre Tantas, au cœur de son territoire. Sur son chemin se trouvent des légions d’ennemis et des dizaines, voire des centaines d’activités secondaires allant des défis de combat dans les ruines des colonies d’Athia aux petites distractions où Frey se lie d’amitié avec un chat magique. Un moyen donc de replonger le joueur dans le monde de Forspoken alors que vous l’aurez déjà parcouru en long et en large dans la première partie du jeu.

On peut appliquer ce schéma de manque de cohérence au rôle du bracelet Krav (surnommé « Poukrav » en bon doublage français). Bien que personne d’autre que Frey ne puisse entendre son accent anglais chic, le rejet sarcastique et cynique de Krav à chaque instant rate la plupart du temps sa cible. Plutôt que d’être une aide, ses répliques incessantes ont le don d’agacer et n’apporte rien à la dynamique de l’histoire et aux motivations de Frey. Tous deux se tirent dessus constamment, souvent d’une manière qui ne reflète pas l’état actuel de l’histoire ou l’évolution de leurs personnages. J’aurai préféré que les interventions de Krav aient un sens en des moments-clés, d’autant qu’il est impossible de lui fermer le clapet.

Le soufflet d’un vent de liberté

Avec Forspoken, le studio Luminous Productions a décidé de créer un jeu sur le mouvement et la traversée lorsqu’il a commencé à travailler sur ce qui était alors Project Athia. Et le moins qu’on puisse dire, c’est qu’ils y sont parvenus. Le parkour magique de Frey et les différents sorts que vous pouvez gagner pour améliorer encore sa mobilité rendent le survol d’Athia à la fois fluide et excitant. La liberté de courir comme le vent et de ne rien arrêter m’a fait me sentir plus puissant que n’importe lequel des sorts de combat par ailleurs impressionnants. J’ai aussi savouré chaque instant où je pouvais chasser quelques bassins de mana supplémentaires dispersés sur la carte, en bondissant à travers le paysage comme personne. Les combats se montrent dynamiques et étonnamment diversifiés. Frey dispose de plusieurs types de magie liés à son équipement, parmi lesquels elle peut jongler avec un éventail de sorts pour pratiquement toutes les situations. Et à des niveaux élevés, certains des sorts sont impressionnants à regarder en action

Le problème réside plus dans la faible variété des ennemis et la conception abrupte des rencontres. Le comportement des monstres et les configurations de combat laissent peu de champs à l’élaboration de tactiques complexes et intéressantes. Même l’augmentation de la difficulté n’a finalement que peu d’intérêt puisqu’il rend simplement les ennemis plus résistants, rallongeant d’autant les affrontements. Le plus déconcertant au démarrage de l’aventure reste la jouabilité: laborieuse avec des mouvements de caméras dans tous les sens en plein combat, il faut un certain temps d’adaptation pour appréhender les roues de sorts. Dans le feu de l’action, il est d’ailleurs très facile de s’emmêler les doigts…

Voyage, voyage…

Avec une bonne vingtaine d’heures de jeu, Forspoken se montre consistant avec de nombreuses activités et quêtes secondaires. Pour les joueurs plus occasionnels, sachez que le jeu ne vous pénalise pas non plus pour avoir emprunté des itinéraires plus faciles, pour mieux profiter du monde ouvert ou de la recherche de spots photo. Il faut enfin noter l’apport du stockage SSD de la PS5 rendant les temps de chargement peu perceptibles (surtout dans les téléportations de l’autre côté d’Athia: un pur bonheur!), même si je les ai trouvés assez répétitifs entre chaque séquence. Cela contribue grandement au sentiment de commodité pour aborder les activités moins attrayantes.

Ceci fait que Forspoken reste une expérience agréable à vivre en dépit de ses nombreuses lacunes. D’un côté, on a des bosses et des trébuchements difficiles à ignorer ainsi que des compagnons de voyage désagréables attachés à leurs bras. Et de l’autre, on vivra une aventure dramatique avec un sentiment de liberté grisant dans un pays hors du temps.

Forspoken est actuellement disponible sur console Playstation 5 et PC.

VERDICT
6/10

JEU - Forspoken PS5

Comment ne pas voir en Forspoken un enfant bâtard issu du mariage forcé entre un Final Fantasy XV pour ses combats chaotiques et une Agni’s Philosophy pour ses balades rafraîchissantes en monde ouvert ? Manifestement, les grosses ambitions de SquareEnix dans son moteur Luminous étaient bien trop lourdes pour les frêles épaules de Frey. De la déception ? Certainement, comme Frey lorsqu’elle découvre la réalité d’Athia. De l’espoir ? Aussi comme Frey lorsqu’elle prend possession de ses réels pouvoirs et de ses capacités à changer le monde. Indubitablement, Forspoken fait se mêler des sentiments contradictoires chez le joueur. Chacun trouvera dans le jeu des motifs à redire, voire même rebutant, mais aussi des moments de pure satisfaction. Ce qui est certain, c’est que Forspoken ne laissera personne indifférent en dépit de ses imperfections.

On adore…

  • Le parti pris cinématographique
  • Frey, une héroïne attachante malgré elle
  • Une envie de vagabonder partout !
  • Des combats contre les boss qui valent le détour
  • La montée en puissance des sorts
  • La diversité des quêtes secondaires
  • une durée de vie conséquente

On déteste…

  • Un bracelet vraiment Poukrav dans tous les sens du terme
  • Le système de combat laborieux et sans intérêt tactique
  • Le contre de Krav: poukrav !
  • De vastes espaces souvent vides en dehors des villes
  • Des monstres à répétitions

Test réalisé sur Playstation 5 à partir d’un code envoyé par l’éditeur SquareEnix France.

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