Grise mine dans la création française de jeu vidéo [GeekOn]

A l’heure où les choix gouvernementaux en matière de réformes du système de retraite ne cessent d’enflammer les débats actuels, le secteur de la création française de jeu vidéo ne semble pas épargné non plus. C’est ce qu’il en ressort d’un rapport du Syndicat Français du Jeu Vidéo.

Illustration : Ubisoft

Début 2000, une sonnette d’alarme était lancée en direction du gouvernement face à l’exode massif des programmeurs et développeurs talentueux français cédant aux sirènes des gros salaires et avantages fiscaux proposés par les pays étrangers comme les pays de l’Est, le Canada, l’Australie ou la Chine. Face à cette crise, le gouvernement français d’alors réagit par l’adoption d’une aide temporaire à cette industrie, une première en France, sous forme de crédit d’impôt jeux vidéo à compter du 1er janvier 2008 jusqu’au 31 décembre 2012. Son objectif : permettre aux entreprises du jeu vidéo de préserver leur productivité en France. Elle permet ainsi aux studios de création d’obtenir un crédit d’impôt représentant 20% sur le montant de la production d’un jeu vidéo, dans la limite de 3 millions d’euros par projet.

Nombre de projets de jeux après annonce du crédit d'impôt jv (AFJV - 2008)

En contrepartie, le studio devra principalement s’engager sur un investissement d’au moins 150 000 € pour le développement de chaque jeu et à ce qu’il soit bien entendu majoritairement développé sur le territoire français. Cette loi venait ainsi compléter les textes de lois favorisant l’auto-entreprenariat qui avaient permis la création de nombreuses micro-entreprises de jeu vidéo : en 2005, le succès commercial des consoles Nintendo Wii et DS ont ainsi connu une explosion de dépôt de projets de jeux sur ces supports. C’est de là que sont nés des « jeux purement commerciaux » comme Bienvenue chez les Ch’tis, Fort Boyard et autres Léa Passion. Quatre ans plus tard, le SNJV (Syndicat National du Jeu Vidéo) parvient ainsi à dresser un portrait sur le chiffre d’affaire réalisé par une entreprise dans le jeu vidéo, la partie développement et création représentant près de 85% du secteur :

On constate ainsi que plus de 60% des entreprises françaises du secteur annoncent un chiffre d’affaire (soit le total des ventes à production finie) inférieur à 1 million d’€ dont plus du tiers avec un CA de moins de 100.000 €. Faisons un rapide calcul : lorsqu’un studio engage les 150.000 € requis pour la création d’un jeu, il bénéficie d’un abattement de 20% (soit 30.000 €) sur son impôt, soit un engagement financier de 120.000 € net au final. Ce qui signifie qu’en 2009, plus de 25% des entreprises du jeu vidéo n’ont pas été en mesure de pouvoir rentrer dans leurs frais après avoir créé un jeu vidéo si l’on peut résumer de manière simplifiée. N’oublions pas non plus que l’aide est limitée à un investissement de 3 millions d’€ : oubliez donc les projets d’envergure « made in France » façon GTA ou Final Fantasy XIII nécessitant plusieurs dizaines de millions d€ pour voir le jour. Comment alors s’étonner que les plus grands éditeurs français décident d’installer leurs studios de développement à l’étranger pour des simples considérations fiscales et salariales, comme Activision Blizzard en Californie ou Ubisoft dans les provinces québecoises et chinoises ?

Le secteur du jeu vidéo en France offre dès lors un contraste saisissant, entre son offre et sa demande : en 2008, le jeu vidéo est ainsi devenu le premier loisir culturel français devant le cinéma et la télévision. Le chiffre d’affaire généré par ce secteur en France  s’élève chaque année à près de 3 milliards d’€ : en 2009, cela représentait près de 5% sur un chiffre d’affaire mondial de 55 milliards d’€. Cela vaut à la France de se classer au rang de quatrième marché mondial du jeu vidéo derrière les Etats-Unis, le Japon et le Royaume-Uni et devant l’Allemagne.

Il est dès lors difficile d’envisager un avenir serein et d’afficher un optimisme quant à au maintien de la production de jeu vidéo en France si les aides consentis jusqu’ici aux studios leurs sont tout simplement retirés. Rappelez-vous : le crédit d’impôt jeu vidéo ne courra que jusque fin 2012 soit encore un peu plus une année. Hors, il est désormais question de revoir également les avantages fiscaux destinés aux JEI (Jeunes Entreprises Innovantes) lors du prochain projet de loi de Finance du gouvernement français début 2011. Aujourd’hui, les entreprises du secteur du jeu vidéo, qui bénéficient du dispositif JEI, économisent en moyenne l’équivalent du coût d’un à deux postes de chercheurs. A côté de cela, l’évolution des technologies des supports médias (consoles HD, technologie blu-ray, nouveau gameplay) nécessite constamment des coûts de production sans cesse plus important. Il apparaît par conséquent suicidaire de se lancer dans le développement d’un jeu vidéo à la pointe de ce qui se fait aujourd’hui en pariant sur des nouvelles technologies au succès incertain et qui seront peut-être obsolètes d’ici deux à trois ans lorsque l’on n’a pas les reins aussi solide qu’un Ubisoft ou qu’un Activision Blizzard.

Comment être étonné que l’Etat se soucie davantage du piratage en investissant plus de 30 millions d’€ par an pour la sauvegarde du patrimoine culturel numérique, lorsque l’on sait que cela a surtout pour but de rapporter des finances à l’Etat par l’intermédiaire de la TVA pour combler son déficit public béant ? Avant même de se soucier du prix des jeux vidéo en France et des conséquences de la dématérialisation, il apparaît urgent de sauvegarder et préserver le vivier créatif français, que cela soit dans le jeu vidéo que dans d’autres secteurs impactés comme le cinéma ou l’animation. Car la créativité est la seule forme de savoir-faire identitaire et universel, et qui permet de se démarquer dans un monde où la mondialisation prédomine.

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