Fermeture de la librairie Tonkam: tout fout le camp…

Au début des années 90, une librairie en France fait figure de précurseur en se spécialisant dans l’import et la distribution de mangas et produits dérivés: la librairie Tonkam. Lorsque l’on constate la couverture médiatique du manga aujourd’hui dans notre pays, on ne peut qu’être admiratif sur le chemin parcouru depuis cette époque pour la reconnaissance auprès du public de ce genre de bande dessinée.

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J’avoue faire parti de ces nostalgiques de l’époque où le manga et les animés n’étaient alors considérés que par une poignée de passionnés. La difficulté pour se les procurer à l’époque où Internet n’était qu’un de ces mots barbares utilisés par des informaticiens chevronnés, relevait du parcours du combattant. Mangas qui s’échangeaient sous le manteau; VHS enregistrées au format NTSC qui n’étaient visionnables en couleur que sur de rares magnétoscopes compatibles aux prix abusés; fanzines papiers de piètre qualité rédigés par des fans s’arrachant pourtant à prix d’or, afin d’être à la pointe des dernières péripéties de Son Goku publiées dans l’hebdomadaire japonais Shônen Jump: le système D était monnaie courante parmi les fanatiques que nous étions.

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t97-r-27.jpgAu fur et à mesure du temps, un endroit fédérateur de cette communauté fit l’unanimité: située au 29 rue Keller dans le 11ème arrondissement de Paris, la librairie Tonkam avait été proclamée  comme la mecque des passionnés de manga. Leurs
créateurs, Dominique Véret et Sylvie Chang, en passionnés de la culture japonaise, avaient voulu retranscrire en France l’engouement suscité par le manga dans son pays d’origine. Pour la plupart des gens appartenant à cette communauté, le Japon constituait tout simplement l’aboutissement du rêve de tout fan, le Las Vegas sauce nippon où tous les rêves des otakus se réalisent. Ainsi, lorsque l’on se rendait à la librairie Tonkam, c’était un peu comme si on touchait du bout des doigts ce paradis d’otakus: il était de coutume alors d’y apercevoir une foule buissonnière s’agglutinait face à la devanture de la boutique les samedis après-midi, où on s’échangait mangas et autres VHS.

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Pour le badaud qui s’aventurait dans les environs, il était difficile de comprendre pourquoi des gens se bornaient à s’entasser dans une boutique d’à peine 60 m² pour en ressortir, exténués mais sourire aux lèvres, avec une collection de bd de poche à la langue incompréhensible. Car oui, à l’époque, le manga se lisait uniquement dans son sens original et dans sa langue d’origine, le japonais. Enfin, lire était un bien grand mot puisque la plupart se contentait de regarder les vignettes illustrées en faisant travailler son imagination. On ne compte d’ailleurs plus les anecdotes des téméraires qui tantôt s’introduisaient de façon illicite dans les cours de langue japonaise de la faculté de Jussieu (car les cours de japonais n’étaient pas encore monnaie courante à ce moment-là), tantôt s’inscrivaient à l’INALCO pour les plus fortunés, quand ils n’allaient pas tout simplement harceler d’innocentes touristes japonaises de passage pour qu’elles leur traduisent le dernier volume de Video Girl Aï.Tout cela dans le seul but de pouvoir ensuite frimer dans la cour de  récré en sortant deux trois hiragana et autres kanjis devant des copains tout en admiration.

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video_girl_01.jpgVideo Girl Aï du mangaka Mazakazu Katsura sera d’ailleurs la toute première série de  manga papier adaptée entièrement en français par les éditions Tonkam en 1994. S’ensuivra également quelques
démêlés avec la justice lors de l’annonce de la distribution du manga érotique Angel du mangaka U-Jin en version française qui avaient choqués les moeurs de l’association de parents Famille de France, et qui eut pour conséquence son retrait pur et simple des vitrines de la librairie et sa mise sous cellophane. Une première! Mais ce serait oublier les nombreux mangakas que l’éditeur n’avait pas hésité à faire découvrir comme Mazakazu Katsura bien sûr mais aussi le groupe Clamp (Tokyo Babylon, RG Veda), Osamu Tezuka (Phenix, Little Buddha), Tsukasa Hôjô (Cat’s Eye, Family Compo), Yuu Watase (Fushigi Yûgii), Mitsuru Adachi (Touch) ou plus récemment Takeshi Obata (Hikaru no Go). Enfin, on n’oubliera pas le journal Tsunami, le tout premier fanzine papier fait maison qui n’était commercialisé que par Tonkam par ailleurs.

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Tout ce pan d’histoires et d’anecdotes va malheureusement disparaître le vendredi 30 avril 2010 prochain avec la fermeture définitive de la fameuse librairie Tonkam de la rue Keller. En cause: l’augmentation drastique du loyer par son propriétaire de l’ordre de 150% dans un quartier populaire parisien aujourd’hui très prisé par les promoteurs immobiliers. La concurrence agressive des magasins qui ont poussé comme des champignons ces dix dernières années auront mis un point final à cette prise de décision douloureuse. Le site Actualitee.com rapporte ainsi les regrets du responsable actuel des éditions Tonkam, Sébastien Moricard, qui considère cette fermeture comme quelque chose de pénible pour tout ce que peut représenter en terme d’histoire cet établissement aux vrais passionnés de la culture manga en France. Pour moi notamment, il s’agissait de mon premier lieu de cosplay en juin 1997 dans la rue, à
l’initiative de Tonkam justement.

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Un dernier hommage sera donc rendu le vendredi 30 avril pour la fermeture avec une opération spéciale et de nombreuses réductions dans ce qui restera le dernier lieu de pélerinage des premiers otakus français.

Note: Je précise que la cessation d’activité ne concerne que l’établissement  commerçant et non l’éditeur qui poursuit elle ses activités notamment sur son site
web
.

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Librairie Tonkam – 29 rue Keller – 75011 Paris

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